Le faux, élément incontournable de l’uchronie comme médium. Au commencement, l’idée d’une représentation différente. Sculptée, Marie représentée comme mère mais avant tout comme femme, semblable aux autres. En réalisant avec les techniques ancestrales, taille dans le bois, enduit de colle de peau de lapin, dorure à la feuille, polychromie, une statue d’église, une Madone portant son bébé mais aussi enceinte d’un deuxième, je souhaitais proposer un changement de paradigme. Fidèle à ce que racontent les premiers Évangiles citant le nom des frères de Jésus, je propose une image de Marie plus réelle que celle de l’Immaculée Conception. Marie devient femme, fille-mère, puis mère des autres enfants que lui donne Joseph. J’esquisse, par cette uchronie, ce qu’aurait été notre société sans cette culpabilité que les religions font porter aux femmes, source de drames. Drames sociaux et psychologiques que j’évoque dans la deuxième pièce, une autre uchronie qui, au travers des évolutions techniques et esthétiques de la photographie, reconstitue l’ascendance fantasmée d’une femme née sous X. Dans les deux cas masquer le péché originel, la chair que stigmatise trois femmes. La première, à l’origine de notre civilisation, Marie, pour laquelle le mythe efface l’acte de chair, la propulsant, paradoxalement, en tant que Vierge, comme icône de la femme. La seconde, qui, au milieu du XXème siècle, n’a pu assumer son rôle de mère pour une raison inconnue. On peut imaginer que son accouchement sous X a été causé par la bienséance, fille de bourgeois engrossée dans le péché ou, fille de pauvre qui ne pouvait assumer le fruit amer d’un moment de faiblesse ou d’un viol. Et aujourd’hui, la troisième, cet enfant non souhaité, cette fille née sous X face au mur établi par la loi, devant porter le poids de son abandon et du mystère que représente ses ascendants, se sentant coupable de ne pas pouvoir donner une histoire familiale à ses enfants. Cette dernière mère est une amie, à qui j’ai suggéré un jour d’inventer de toute pièce un passé idéalisé. Plus tard, je lui ai proposé d’inventer des fragments de ce passé au travers d’un parcours dans le temps, séquencé par un bref parcours symbolique dans l’Histoire de la photographie. J’utilise le visage d’une de ses filles pour faire exister une arrière-grand-mère, une grand-mère et une mère.
La réalité de l’histoire et la manipulation La famille qu’on peut s’inventer lorsqu’on est né(e) sous X, cette transformation de l’Histoire, cette bifurcation dans l’espace-temps qu’est l’uchronie expose aussi la fragilité de la réalité. “Nous devons envisager l’état présent de l’univers comme l’effet de son état antérieur, et comme la cause de celui qui va suivre.” nous dit Laplace mais selon la théorie du chaos, un infime changement aurait pu transformer notre univers social et moral, changer ce paradigme. Si l’Église reconnaissait à Marie son statut de fille-mère au lieu d’imposer cette conception sans l’acte de chair, mon amie aurait probablement connu sa mère. D’autre part, la collection de photographies, support d’un passé fantasmé m’évoque aussi l’étagère de Rick Deckard, le chasseur de prime de la nouvelle de Philip K. Dick, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? et interprété par Harrison Ford dans Blade Runner. Étagère couverte de photos de famille et suggérant que le héros pourchassant les réplicants – des robots humanoïdes essayant de retrouver leur créateur pour prolonger leur vie – est l’un des leurs auquel on a implanté un faux passé. Chez moi, j’ai posé sur un buffet une série de vieilles photographies de ma famille et parfois je me demande si j’ai vraiment vu ces personnes. Mon père était photographe et regardant de vieux albums, je me demande si ma vie est réelle, si mes rares souvenirs d’enfant ne sont pas seulement instillées par ces images.
Ce diaporama nécessite JavaScript.
Biographies
Marc del Piano, né en 1958. Vit et travaille à Lyon
Après les Beaux-Arts de Lyon en département illustration et communication, MDP devient directeur artistique pour la publicité, fonde une agence de communication puis de multimédia. En 1999, il est associé par thierry Ehrmann à la fondation de la Demeure du Chaos dont il devient un des artistes intervenant et son directeur artistique. Parallèlement, il développe son univers personnel de plasticien en expérimentant différents média : dessin, peinture, photographie , sculpture en fonction de ses envies et des sujets qu’il aborde. Il expose son travail à la Demeure du Chaos et à Paris à la galerie Gratadou-Intuiti
Patrick Gabet, né en 1958. Vit et travaille à Lyon
Il se passionne pour la sculpture depuis l’âge de15 ans en autodidacte puis suit une formation classique en ébénisterie, sculpture et dorure. Il ouvre son atelier de sculpture et dorure à Lyon. Son activité d’artisan d’ Art s’articule autour de deux axes, la création et la restauration de statuaires, meubles, miroirs, dorés, polychromes, cirés … Quand à ses créations, très personnelles, elles sont visibles dans son atelier vitrine.
GALERIE GRATADOU-INTUITI
16, rue des Coutures Saint-Gervais 75003 Paris