« Comme un double lassé de moi-même, usé de m’attendre ou de me supporter, mon dressing prend des vacances et s’expose chez Joyce Gallery du 15 au 29 janvier 2018. Les vestes et les pantalons y sont échoués. Les chemises y sont abandonnées dans le réconfort de rouges baisers déposés sur papiers volés, constitués en collection et pour la première fois exposée à Paris… Qui veut me déposer un baiser de plus, peux venir… »
« Ma jaquette d’hiver habille le dos de la chaise. Sa forme est une esquisse, mais les épaulettes ne veulent pas se rendre. la doublure est froide comme un miroir ». Violette Leduc. L’affamée.
Installées sur des chaises de cirques, les vestes et les pantalons tous échappés de mon dressing sont dans l’obligation de raconter une part de celui qui les a portés. En acceptant l’invitation de la Galerie Joyce à présenter ce qui constitue l’ordinaire de la mode, celle que les podiums ne convoitent pas, c’est la banalité de soi même que l’on expose ayant cru, flatté un instant à l’exception de ses goûts. C’est donc sans fard, sans masque et sans triche que mes chemises élimées aux cols et aux poignets disent ma négligence à affronter le quotidien.
Celles en « Jean » par vingtaines et toutes différentes continuent de se boutonner à une adolescence qui n’est plus. Les pantalons, trop courts ou trop larges mais jamais à ma taille ne veulent pas totalement adhérer aux âges qui les épousent. Les cravates uniquement anciennes, toutes de secondes mains et des années 1960 manifestent dans leurs couleurs éteintes et leur tergal affirmé mon refus du présent. Les chaussettes sont noires et longues, au genou parce qu’un jour Véronique Nichanian m’a dit qu’il n’y avait pas d’autres options pour être chic et qu’il me plait de penser à elle chaque matin quand je glisse mes pas dans le fil d’Ecosse qui me rappelle aussi le pays de Tilda. Les sous vêtements sont blancs parce que je me jure une intimité qui sente la lessive et le blanc d’Espagne. Les culottes et les slips blancs, sans logo, sans motifs, sans griffes, de plus en plus difficiles à trouver sont kangourou car il faut bien un peu de dérision à cet endroit là. Les caleçons court en popeline vierge me rappellent que je suis leur détenu. Les caleçons longs auxquels je continuent de m’accrocher en hiver comme au temps lorsque j’habitais une région où il fait moins vingt font sans doute exception dans une garde robe dès qu’on a quitté la trentaine. Je reste fidèle à ce mauvais gout que j’espère très sur comme à celui de porter des Marcels sous les chemises !
Les vestes sont trop nombreuses et ont préempté depuis trop longtemps l’espace normal du dressing d’un homme qui s’habille pareil d’un jour à l’autre. Qu’elles soient en toile, en lainage, à chevron ou à rayures, les vestes sont toutes bleues, comme les pantalons que je porte dépareillés. Toutes à deux boutons, les trois boutons font peser sur moi la menace de ressembler à un agent immobilier. Je continue de caresser l’espoir d’un uniforme, une sorte de costume en bleu de travail qui serait dupliqué à l’identique pour tous les jours de la semaine. Un des leurs est sorti un jour des ateliers Old England mais je m’y sens comme un gendarme en répression de mon passé. Alors je le garde secrètement entre les frocs en bleu de chauffe de chez Gap et les pantalons très 40 de Ralph Lauren qui me font épouser la vie d’un ouvrier agricole américain. Pour être plus juste, là se loge sans doute une coquetterie c’est la photo de la vie d’un ouvrier agricole américain que je convoite. Il faut bien justifier ses tempes grises même si mes reprises, mes ravaudages ne sont nullement factices par ailleurs. Je continuent avec plaisir de la distinction de raccommoder mes vêtements.
Un pas chasse l’autre mais mes chaussures ont l’ambition de rester les mêmes. Celles d’aujourd’hui, le modèle Chasse ou le Golf de JM Weston ont forcé ma route. Ce changement de direction et de vie, guidé par le pas et la marche ont convaincu une garde -robe désormais au garde à vous de les suivre.
Qu’on ne s’y trompe pas, cette garde robe décrite avec un peu d’esprit à défaut d’en posséder est d’un ennui presque revendiqué. Je n’aime rien moins que le rituel du quotidien, la succession des jours qui se ressemblent, la permanence des objets de la vie et des vêtements. Au neuf, je préfère l’usagé qui a roulé sa bosse et vaincu le temps des modes. Le seul imprimé qui puisse rompre avec effraction et noblesse ce quotidien est une trace de rouge à lèvres au bord ‘un col de chemise. Depuis plusieurs mois, peu d’années je les collectionne sur le papier. A la fin d’un diner, en retour de correspondance je demande aux filles de m’envoyer des baisers. Sur une serviette, sur un mouchoir je récupère ces hiéroglyphes intimes maquillés de rouge. J’en possède tant désormais qu’il me faut bien avouer en dépit de cette garde-robe inoffensive et décrite : je veux plaire.
Olivier Saillard, janvier 2018
« PERSONAL DRESSING by OLIVIER SAILLARD »
Exposition du 15 au 29 janvier 2018
Joyce Gallery : 168, Galerie de Valois – Jardin du Palais Royal – 75001 Paris